La troisième course en cinq ans à la direction du Parti conservateur est officiellement lancée, avec l’annonce des directives du Comité organisateur de l’élection du chef (COEC) au cours des derniers jours. Le nouveau chef du parti sera élu le 10 septembre, à l’issue du vote par correspondance qui se tiendra dans les semaines précédentes. Les campagnes auront jusqu’au 3 juin pour inscrire des nouveaux membres. Se joindre à la course nécessitera des fonds significatifs pour chaque candidat, avec un droit d’entrée s’élevant à 200 000 dollars et un dépôt de garantie de 100 000 $.
Les joueurs clés
La course comptait déjà un participant bien avant que les règles soient établies : le député de Carleton, Pierre Poilievre, a annoncé sa candidature la même semaine que l’ancien chef Erin O’Toole se faisait montrer la porte par les députés et sénateurs de son parti. Pour le moment, M. Poilievre est soutenu par un quart du caucus conservateur, dont l’ancien chef Andrew Scheer. Le vétéran de l’ère Harper, reconnu pour sa combativité, attire plusieurs appuis parmi les représentants de l’ouest du pays, mais compte aussi un certain nombre de députés ontariens d’envergure parmi ses premiers supporters. En février, M. Poilievre s’est attiré des critiques en affichant son soutien au convoi de camionneurs qui a paralysé Ottawa pendant plusieurs semaines. Dernièrement, il a axé sa campagne sur la tarification du carbone et les questions énergétiques, liant ces enjeux de manière plus ou moins directe à la guerre entre la Russie et l’Ukraine.
Après des semaines de spéculations, l’ancien premier ministre du Québec, Jean Charest, a annoncé sa candidature au poste de chef. Il est présenté comme le plus important compétiteur de M. Poilievre, et présentera une vision modérée pour le parti. M. Charest a reçu l’appui de plusieurs députés québécois et ontariens, et a récemment organisé un rassemblement pour d’autres membres curieux du caucus fédéral. M. Charest dispose d’un vaste réseau politique sur lequel s’appuyer à la suite de sa longue carrière dans les cercles progressistes-conservateurs fédéraux, et en tant qu’ancien premier ministre du Québec. Cependant, son soutien passé à la tarification du carbone ainsi qu’au registre canadien des armes à feu est déjà la cible du clan Poilievre.
On s’attend aussi à ce que le maire de Brampton et ancien chef du Parti progressiste-conservateur de l’Ontario (PPCC), Patrick Brown, soit candidat. M. Brown pourrait être un adversaire de taille en raison de son profil et de sa notoriété auprès des communautés ethnoculturelles de la grande région de Toronto. Cependant, un lourd bagage le freine depuis son mandat en tant que chef du PPCC, soldé par des allégations d’inconduite sexuelle et de fraude électorale. Le mandat de M. Brown en tant que maire de Brampton a également été tumultueux.
Deux autres membres du caucus devraient se présenter : nouvellement élue, la députée de Haldimand-Norfolk, Leslyn Lewis, espère tirer parti de sa percée dans la course de 2020, en menant une campagne qui cible les activistes du conservatisme social qui peuvent jouer un rôle disproportionné dans les courses à la direction du Parti conservateur. Le député de Parry Sound-Muskoka, Scott Aitchison, prévoit également de se présenter, en mettant l’accent sur « le caractère et le ton ».
Enfin, Leona Alleslev, députée récemment défaite, a exprimé son intérêt à se présenter en misant sur son expérience dans le secteur privé. Mme Alleslev a été élue députée libérale en 2015 puis réélue en 2019 en tant que cheffe adjointe du Parti conservateur. Elle aura cependant été défaite en 2021.
Dynamiques de campagne
Une campagne plus longue rendra l’élection plus complexe. Un vote planifié en septembre donne aux candidats moins reconnus une opportunité de s’établir davantage et de trouver leur public. Jean Charest et Patrick Brown, s’il se présente, auront également besoin de temps pour recruter des membres et bâtir des réseaux à travers le Canada, afin de contrer l’avantage perçu de Pierre Poilievre auprès de la base existante de sympathisants.
De plus, la polarisation politique croissante et l’organisation en ligne peuvent donner aux candidats moins connus la possibilité d’identifier leurs partisans et d’influencer la course en s’imposant comme les seconds choix de leurs électeurs. Dans la course de 2020, les candidats émergeants Leslyn Lewis et Derek Sloan étaient tous deux solidement issus de la branche de droite du parti. Ce sont les deuxièmes et troisièmes choix des membres qui ont permis à Erin O’Toole de remporter la victoire sur Peter MacKay. Une dynamique similaire en 2022 pourrait s’avérer un atout pour Pierre Poilievre, mais sa victoire est loin d’être assurée. Jean Charest et Patrick Brown sont tous deux de formidables stratèges, et ils pourraient présenter une alternative attrayante à la partisanerie combative de M. Poilievre.
En conclusion
Cette nouvelle course à la direction du Parti conservateur semble déjà plus serrée que les dernières. Elle représente également un tournant potentiel pour le parti après deux élections décevantes. Dans un contexte de lassitude croissante des électeurs et d’anxiété économique grandissante, les membres conservateurs auront une décision importante à prendre. Il s’agira de choisir entre tenter une fois de plus de faire croître la base du parti, en adoptant une approche pragmatique qui saura séduire les électeurs modérés et moins alignés, ou alors renoncer au pragmatisme au profit d’une approche davantage populiste, qui incitera les non-votants et d’autres groupes démographiques inexploités à propulser le parti au pouvoir. Ce dilemme signifie que la course est susceptible d’offrir des choix très différents pour l’avenir du parti, d’une manière qui n’avait pas été abordée dans les courses de 2017 et 2020.